samedi 5 juillet 2008

Anti-Le Pen, pro-Betancourt, mêmes français

Je sais, jusque là, le titre peut sembler étrange, mais reste louable, vous devez vous demander de quelle manière je vais bougonner.
J'y viens.
En 2002, tandis que nous finissions de préparer nos planches et nos dossiers pour le baccalauréat, l'écrasante majorité de ma classe (pas en âge de voter) et de mes profs (qui ont voté, je pense) est sortie manifester contre Le Pen tandis qu'il concourait à l'élection présidentielle. Je devrais en être fier pour eux, parce qu'à l'époque, ils étaient parmi les premiers organisateurs de défilés contre lui, et de manière générale, sans violence, à part quelques troubles en fin de cortège, mais des cons, y'en a partout. A Nîmes, qui plus est, une place forte, malheureusement, de cette extrême-droite.
Le souci à l'époque, et je pense pouvoir dire que c'est toujours le cas aujourd'hui, c'est le niveau de conscience et de connaissance des manifestants de la cause qu'il combattaient.
Une toute petite minorité pouvait s'enorgueillir (mais ne le faisait certainement pas, savoir autant de choses sur Le Pen, c'était forcément louche) de connaître un peu le parcours du politicien, et le danger que ses partisans, ses souteneurs et lui-même représentaient, et d'ainsi le véhémenter en connaissance de cause.
La gigantesque majorité, quant à elle, a été habituée, par ses parents, sa famille proche, ses voisins, ses amis, ses camarades, ses profs (mais sans leçon ni débat), les artistes plus ou moins engagés qu'elle écoutait, les politiciens qui le disent à la télé en prenant des mines de dégoût profond, à scander, comme eux : Le Pen est raciste, Le Pen est facho, Le Pen est un salaud, votez contre lui.
A ceux-là se rajoutait une minorité non-négligeable de lycéens en pré-vacances, trop ravis de faire péter quelques cours aussi près de la fin, sous un temps superbe, un soleil radieux et aux rythmes des djembés.
A l'époque, j'étais, et je le suis toujours, défavorable à ces manifestations, et plus particulièrement à Nîmes, triste (vieux) bastion lepeniste, précisément parce que certains d'entre-nous redoutions l'effet inverse, c'est-à-dire que des bandes de jeunes qui n'ont pas l'âge de voter, défilent pour donner des leçons à ceux qui l'ont, débraillés, parfois pieds nus, écoutent et chantent plein pot sur des musiques qui hument bon la fumette, et s'égosillent à qui n'a pas les oreilles internes déjà détruites que Le Pen est un facho (alors que ceux qu'il faut convaincre ont souvent connu, voire participé à, la fin du fascisme), ce n'est certainement pas la bonne méthode.
C'est risqué de faire son coming-out en amenant ses parents ultra-pratiquants à la Love Parade, c'est difficile d'organiser un festival de stunt et de drift dans un village en bord de nationale qui compte deux tiers de la jeune population de son cimetière en morts d'accidents routiers... C'est un tantinet pervers de vouloir convaincre des électeurs conservateurs et réactionnaires (comme si ça ne suffisait pas d'être conservateur) de ne pas voter pour Le Pen, en stigmatisant d'avance ceux qui le feraient avant de mourir sous la canicule, et en leur donnant à voir ce qu'ils redoutent, ce qui les fait voter borgne, des jeunes braillards, à qui, quand on demande pourquoi il ne faut pas voter Le Pen, n'ont qu'une réponse : Le Pen est un facho. Que d'arguments.
Bref.
Si vous n'avez pas d'ores et déjà compris où je voulais en venir, je continue.
A l'occasion de l'arrivée (du rapatriement ?) d'Íngrid Betancourt en France, nombreuses sont les foules réjouies qui l'ont soutenue peu ou prou et s'apprêtent à fêter en sa présence sa récente libération (grand bien lui fasse par ailleurs). Cependant, je ne peux m'empêcher de voir, qu'une fois encore, l'ignorance est de mise...
Une petite minorité, emmenée par sa famille, ses proches et ses collaborateurs, est effectivement engagée aux côtés de Mme Betancourt, politique rentre-dedans, oratrice aguerrie (preuve en sont ces dernières dizaines d'heures), politicienne chevronnée, colombienne engagée.
Une immense majorité, elle, l'a soutenue en ralliant les comités de lutte contre les tôliers et de soutien aux otages, qui ont eux-même usé de sa popularité et de son poids diplomatique pour en faire le fer de lance de leur cause. De là à dire que ces milliers de gens ont suivi, un tant soit peu, le parcours de cette femme politique, c'est une autre histoire, ne serait-ce que parce que l'actualité colombienne de la fin des années 90 ou l'histoire géopolitique des partis verts au travers du monde... en France... à part quelques journalistes, politologues et autres chercheurs du CNRS, j'en doute fort.
Rajoutons une minorité (en tout cas je l'espère) guidée par l'émotion pure, la fête, l'opportunité (souvent politique) ou la sensation grisante de faire partie de la foule ou encore d'avoir participé à un moment remarquable de l'histoire contemporaine, que l'on ne peut tout de même ignorer.
Bien sûr, entre Le Pen et Betancourt, il y deux ou trois vingtaines de mondes parallèles, et on serait tenté de croire que si la méconnaissance du vécu et des revendications de l'un pourrait se retourner contre nous, l'ignorance de la vie d'avant les FARC de l'autre ne change(ra) pas grand-chose. Si en effet je ne pense pas qu'Íngrid Betancourt représente une quelconque menace, je n'en oublie pas pour autant que c'est une femme politique accomplie, que ses années de détention n'ont pas affaibli son engagement, et qu'à l'heure actuelle, ses propos ultra-médiatisés ont véhiculé plus de sens et de volontés politiques que le « simple » soulagement d'une ex-otage. Íngrid Betancourt n'est pas Florence Aubenas.
Vous l'aurez compris, ces mouvements de masses niaises m'inquiètent, les conséquences plus encore.

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